OS: Princesse des glaces

Je ne sais pas si je l'ai voulu, je ne sais pas si c'est un accident. Je ne sais plus. Je ne sais même plus pourquoi je suis sortie aujourd'hui, moi qui ne supporte pas le froid. Tout s'embrouille dans mon crâne. Je sais juste que c'est trop tard maintenant.

Je me souviens seulement que je marchais sur la glace et qu'elle a craqué sous mes pieds. Elle était trop fine. Je n'ai même pas eu le temps de réagir que j'étais déjà engloutie. Je sais nager, bien sur, mais je n'ai pas réussi, habillée ou plutôt emprisonnée comme je l'étais dans mes vêtements d'hivers, de plus complètement immobilisée par le froid qui m'entourait. L'eau était gelée, et le froid pénétrait ma chair comme un milliards de fines aiguilles. J'avais l'impression que mes os explosaient, que mes poumons étaient lacérés de l'intérieur, et que l'on enfonçait des griffes dans mon crâne.

Puis tout à coup, tout est devenu bizarre. Maintenant, j'ai l'impression que ce qui m'entoure est différent. Les couleurs, la lumière, les formes, tout a changé. Je sais que je vais mourir. C'est trop tard maintenant. Je coule et mes poumons sont remplis d'eau. Lutter ne sert à rien. La surface s'éloigne lentement, et sa clarté fait ressortir l'obscurité des eaux qui m'engloutissent. Je sais maintenant que c'était volontaire. Je ne suis pas assez bête pour marcher sur une rivière gelée. Je sais même pourquoi je l'ai fait. Je ne voulais plus souffrir. Je ne voulais plus qu'ils me fassent souffrir.

Alors que je m'enfonce dans les profondeurs, une chose m'interpèle. C'est comme s'il existait deux mondes. Le monde lumineux et blanc de la surface où les émotions me labourent de l'intérieur, parfois jusqu'à m'empêcher de respirer. Et ce monde là, si sombre, où tout mon corps me fait souffrir, mais où aucun sentiment ne me transperce avec tant d'intensité. Je préfère ce côté si du miroir. Ici, je ne ressens presque aucune émotion. Seule la douleur physique est présente. Je m'y sens bien mieux.

J'ai l'impression d'être dans l'eau depuis plusieurs minutes, et pourtant, je ne suis pas encore morte. C'est vraiment très étrange. Peut être que ça ne fait qu'une fraction de seconde que la glace à craqué sous moi, me condamnant à mourir. Peut être que le temps ne s'écoule pas dans ce monde. Dans mon monde. Après tout, pourquoi cela ne serait pas à moi, rien qu'à moi? Je n'ai jamais rien eu dans la vie. Si je veux ces ténèbres glacée et fatales, qui viendra me les prendre? La haut, dans la vie, tout le monde m'a toujours tout pris, arraché. Même mon cœur. Même mon âme.

Les longues mèches de mes cheveux blonds flottent à la limite de mon champ de vision, telles des algues pâles dans un océan d'eau teintée d'encre. Le froid n'est même plus gênant. Plus rien ne l'est. Ici je suis libre. Seule, même si je l'ai toujours été. Morte, même si je ne me suis jamais sentie vivante. Mais je suis libre. Qu'est ce que l'existence sans la liberté? Aujourd'hui je disparaît, et personne ne viendra me pleurer.

Dans cette eau froide, dans cette glace si pure, dans cette étreinte mortelle et pourtant si douce je vais passer l'éternité. Un léger sourire, masque que je vais à jamais garder, illumine une dernière fois mon visage. Car c'est aujourd'hui que je me suis noyée. Car c'est aujourd'hui que ma vie a commencé.