Reflexxion
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Message  que-la-traque-commence Mar 24 Déc - 2:01

Je suis monté dans le bateau. Le gars qui déchirait les tickets m’avait regardé d’un air dubitatif puis avait haussé les épaules et m’avait laissé passer, comme s’il n’en avait rien à faire qu’un p’tit con puisse gruger pour embarquer. Il risquait de ne pas garder ce job très longtemps à mettre autant d’application à faire correctement son boulot. Mais là c’est moi qui n’en avais rien à foutre. Son manque de zèle m’arrangeait bien, je n’avais aucune envie de me battre une fois de plus pour convaincre des employés trop zélés que le garçon qu’on voyait sur ma carte d’identité c’était bien moi. Il faut dire que les deux énergumènes n’avaient pas grand-chose en commun. La photo datait d’il y a trois ans, j’avais encore les cheveux longs, hirsutes, teints en noirs corbeaux et agrémentés de mon élégante mèche verte, qui, malgré tous les efforts de la bonne femme de la mairie pour me dégager le visage, me tombaient sur les yeux. Ma peau était blême, trouée un peu partout par des piercings et j’arborais l’expression maussade et faussement détachée qui me demandait tant de travail. J’avais décidé d’afficher mon originalité, ma supériorité de celui qui est le seul à avoir tout compris des choses, à dix-neuf ans, et qui sait que la vie est une chienne, et cela en faisant comme beaucoup d’autres p’tits cons, et encore, avec quelques années de retard par rapport à la moyenne. Vous l’aurez compris je ne suis pas le plus précoce des mecs.

Je fus donc vaguement reconnaissant au contrôleur du débarcadère de son absence de professionnalisme, et me dis, une fois de plus, comme régulièrement depuis deux ans, qu’il fallait vraiment que je me fasse faire une nouvelle pièce d’identité, avec une nouvelle photo. J’étais un jeune homme assez banal, je ne dis pas ça avec défaitisme ou amertume, être banal n’est pas gênant sur cette terre peuplée de quatre-vingt-dix-neuf pourcents d’individus lambdas, sans envergure particulière. Etre banal c’est être tranquille. Etre spécial c’est souvent être seul. Loin d’être repoussant je ne faisais pas se retourner les filles sur mon passage, ou seulement très rarement. J’avais les cheveux courts depuis que l’armée me les avait rasés, ils avaient également retrouvés leur châtain originel. J’essayais maintenant d’avoir l’air dynamique, je « m’entretenais », j’avais perdu les dernières rondeurs de l’enfance et les six derniers mois passés en Australie avait doté ma peau d’un hâle prononcé. Autant dire que j’avais gagné au change, surtout si on en croyait mes résultats auprès de la gente féminine.

J’étais en route pour le foyer familial, où mes parents et ma petite sœur m’attendaient ; en route pour retrouver une petite amie que je n’avais pas vu depuis six mois et qui ne me manquait plus depuis plus de quatre et avec qui j’étais censé emménager lorsque j’aurais trouvé un job et rassemblé assez d’argent pour payer un loyer ; en route vers la banalité, la tranquillité quoi. Tout cela ne m’emballait pas plus que ça, je ne ressentais ni excitation, ni impatience mais pas de découragement ou d’insatisfaction pour autant. Comme tout le monde, il m’arrivait de rêver de « plus », et comme beaucoup je n’avais aucune idée de ce que pourrait être ce « plus » alors, très vite, n’ayant aucune envie de me fatiguer à y réfléchir, je chassais ces pensées et les oubliais presque immédiatement.
Je suis monté sur le pont supérieur pour fumer une cigarette en regardant les vagues. Je profitais de cette solitude que j’allais bientôt devoir abandonner et profitait de sa compagnie comme on profite de celle d’une vieille amie, dont la présence nous est devenue familière, avec un pincement de cœur. J’étais d’une humeur étonnamment mélancolique. Etait-ce cette atmosphère spéciale, mon humeur particulière qui furent à blâmer ? Ou était-ce elle ? Est-ce que si je l’avais rencontrée, remarquée devrais-je dire, dans un supermarché au rayon des surgelés, les choses auraient été identiques ?

Je ne sais pourquoi j’ai tourné la tête à ce moment-là. Je l’ai pourtant fait. Et alors je l’ai vue. Elle s’avançait entre les rangées de passagers assis sur les bancs, se penchant sur chacun d’eux, n’hésitant pas à les déranger en pleine conversation. Je l’ai même vue taper sur l’épaule d’un petit vieux qui sommeillait. Elle leur montrait sa cigarette éteinte, le visage plein d’espoir. Elle devait vraiment être en manque de nicotine. Bizarrement personne ne s’est fâché contre elle. Quand ils lui répondaient avec un air désolé, elle se fendait d’un grand sourire et passait au suivant. J’aurais juré que pas un mot n’était échangé. Comment se pouvait-il que personne n’ai de feu sur ce pont ? Elle ne se décourageait pas. Une vague plus haute que les autres fit tanguer le bateau de manière plus marquée et je crus qu’elle allait perdre l’équilibre et tomber sur le père de famille qui secouait la tête pour lui répondre, mais au lieu de ça, et sans qu’elle paraisse même s’en rendre compte, son buste se pencha en arrière et son pieds droit passa derrière le gauche pour répartir son poids en conséquence. Elle avançait avec une grâce féline et naturelle. Chacun de ces gestes m’hypnotisaient. Je ne pouvais détacher mon regard de sa douce silhouette. Elle était si fine, à la limite de la maigreur, qu’on aurait dit qu’une bourrasque risquait de l’emporter.
J’avais oublié où j’étais, où je me rendais, vers qui et quoi. J’avais oublié jusqu’à mon prénom. Seul elle comptait.

Elle a dut finir par se résoudre à abandonner et s’est dirigée vers le bastingage, auquel elle s’est accoudée, le buste tendu vers le large, la cigarette toujours éteinte dans la main. Une main gracile, aux très longs doigts pendus au-dessus des flots. Je la détaillais. La finesse de sa taille était saisissante. Si une taille avait la chance de tenir dans l’étreinte de deux mains masculines, critère de beauté suprême il y a quelques siècles, c’était obligatoirement la sienne. Tout en elle respirait la légèreté, jusqu’à sa courte robe beige, simple, large et sans attrait particulier qui jouait avec le vent et s’agitait autour d’elle. Ses courtes mèches brunes et ondulées folâtraient sur son front, dansant et virevoltant, comme douées d’une vie propre. C’est peut-être une danseuse, je me souviens avoir pensé. Quel idiot… Elle portait des bottines noires, au cuir tout élimé. Alors que tout le monde portait coupe-vent, pullovers ou sweats en tout genre, elle était bras nus et offrait son corps entier au vent, les yeux fermés. Aucun bijou ne venait détourner l’attention de sa personne et j’aurai juré, aucun maquillage non plus. Impossible d’en juger de là où je me trouvais. Pourtant je mourrais d’envie de voir son visage. Son profil renforçait mon supplice. Il se découpait sur la mer grise, aigu. Un front bombé et haut, des arcades sourcilières et des pommettes saillantes, un petit nez en trompette, des lèvres bien dessinées et un menton volontaire.

Tout à coup, je me rappelle m’être moi-même surpris à m’avancer vers elle. Je marchais comme dans un rêve, sans avoir réellement conscience de ce que je faisais, comme si mon cerveau ne commandait plus mon corps qui agissait selon une volonté qui lui était propre. Arrivé à ses côtés je lui tendis mon briquet. Elle se tourna vers moi, son regard se braqua dans le mien. Elle avait des yeux d’un noir d’encre, encadrés de longs cils, dans lesquels je me perdais. Elle prit mon briquet, mis la cigarette dans sa bouche, se pencha pour faire barrière au vent de son corps mais ne réussit pas à protéger la flamme suffisamment longtemps pour l’allumer. Au bout de quelques échecs je le récupérais pour essayer à mon tour. Elle se pencha, joignit ses mains aux miennes, la flamme s’éleva, vacilla, faillit s’éteindre et réussit à allumer la cigarette, bien trop vite à mon goût. Le contact m’avait électrisé. Mais elle s’était rapidement relevée. Mon cœur battait dans ma poitrine à m’en exploser les côtes. Je ne vivais plus que dans l’attente du sourire qu’elle allait à coup sûr m’adresser, pour me remercier, le même que celui qu’elle avait gratifié aux autres et qui ne serait destiné qu’à moi seul. Elle n’en fit rien. Elle se dressa sur la pointe des pieds, posa une main sur ma poitrine en  toute simplicité et m’effleura la joue de ses lèvres, dans un baiser d’une légèreté infinie. Jamais aucun baiser ne me parut plus délicieux, avant comme après, même ceux partagés dans l’étreinte la plus torride. Je n’ai jamais cru au coup de foudre. Je ne croyais même pas à l’amour.  On pouvait être amoureux, mais l’Amour c’était des foutaises. Je le crois toujours.

Toujours immobile et silencieux, je la regardais ensuite me tourner le dos et s’éloigner de sa démarche animale, sa robe volant derrière elle. Elle disparut bientôt et je restais comme un con à fixer le coin derrière lequel elle s’était évanouie, priant pour la voir réapparaître. Je ne sais combien de temps je restais ainsi. Ma tête me criait de lui courir après, de lui demander son nom, son âge, n’importe quoi, rien que pour entendre sa voix et rester près d’elle plus longtemps. Mais cette fois encore mon corps ne me répondait plus. J’étais incapable de faire le moindre geste. Je mourrais de froid. Je n’y étais malheureusement pas insensible, tout ailleurs que je me trouvais. C’est des conneries quand on dit que le reste du monde cesse d’exister dans des moments pareils. J’avais la chair de poule, je grelottais sous les assauts du vent et le sel me piquait les yeux. Oui le sel. Pourtant, ce ne fut rien de cela qui me décida à bouger mais ma vessie. Oui, ça aussi ça arrive quand on vit le moment le plus mémorable de sa vie. Quand la torture que m’infligeais celle-ci devint insupportable, je descendis sur le pont inférieur pour rentrer à l’intérieur du bateau et partir à la recherche de toilettes.

C’est alors que je la vis. Elle était installée sur toute la longueur d’un banc, les genoux légèrement relevés, un livre dans les mains et le dos appuyé contre un jeune homme. Je n’ai aucun souvenir de son physique à lui. Je me souviens juste m’être fait la réflexion qu’il était « banal », mais cette fois ce mot ne m’inspirait plus que mépris. Il la dévorait du regard, et une de ses mains caressait son bras. J’imaginais le velouté divin de sa peau. Elle ne lui accordait aucune attention. Ce fut également la seule fois de ma vie où j’eux des envies de meurtre. J’ai couru aux toilettes.

Quand je suis sorti je suis aussitôt revenu, toujours courant, au même endroit mais ils n’étaient plus là. J’ai attendu. Je me suis installé sur le banc, à la place où elle s’était étendue. Quand il est devenu clair qu’ils ne reviendraient pas, une femme accompagnée de deux jeunes enfants et d’un bébé m’avait demandé si je pouvais leur laisser le banc, ce que j’avais fait de bonne grâce, je me suis mis à  arpenter le bateau dans tous les sens. Pendant les cinquante minutes de la traversée qu’il restait, j’ai fait le tour des boutiques, y compris celle de lingerie féminine où je me suis attiré le regard plein de suspicion d’une vendeuse qui me voyait fureter et jeter des regards autour de moi d’un mauvais œil, du restaurant, des salles intérieurs et des ponts extérieurs. Au bout de la troisième fois où je passais devant eux, certaines personnes commencèrent à me regarder avec curiosité, parfois avec méfiance. Je devais avoir l’air désespéré parce qu’une femme, sur le même pont où je elle m’était apparue, me demanda gentiment si j’avais perdu quelque chose d’important. Je lui décrivis la jeune femme, mais elle ne fut pas en mesure de m’aider. Je demandais ensuite à plusieurs personnes un peu partout s’ils ne l’avaient pas vu, la décrivant du mieux que je pouvais mais personne ne l’avait vu ou du moins c’est ce que tous me répondirent. Quelques-uns me regardaient bizarrement et je me disais que je devais passer pour un fou, à chercher comme un dingue une jeune fille dont je ne savais clairement pas le nom. Je me disais que certains l’avaient peut-être vue mais jugeait plus sage de ne pas me l’indiquer, et je ne pouvais pas les en blâmer.

Je ne me reconnaissais plus moi-même. Tout à coup la normalité me semblait le pire des défauts. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Cette fille n’avait à première vue rien de spécial. Pourquoi m’avait-elle touché comme ça ? Quelque chose en elle m’avait hypnotisé, et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Elle n’était même pas vraiment mon type de femme. Je préférais les femmes généralement avec des formes, de la poitrine, des hanches, des fesses, des cuisses. Je choisissais toujours une femme avec quelques kilos en trop à une femme tout mince et svelte. Elle, était si svelte que s’en était saisissant. Et j’avais toujours été sensible aux femmes qui savaient se mettre en valeur, exposer leur féminité, avec du maquillage, des bijoux, des accessoires par exemple mais sans en faire trop. Et surtout j’avais un faible pour les cheveux longs dans lesquels on peut enfouir son visage et respirer un parfum entêtant de femme. A n’y rien comprendre. Moi qui avait d’ordinaire la tête bien sur les épaules, j’avais été totalement incapable de réfléchir, de comprendre ce qui m’arrivait, et même après, j’étais tout aussi perdu.

J’étais toujours dans cet état de confusion intérieure lorsque le bateau a atteint la côte, mettant fin au plus étranges des voyages que j’ai jamais fait.

Je suis descendu, me demandant déjà si je ne m’étais pas assoupis et l’avait rêvée. Après l’extraordinaire je suis retourné à la réalité et à cette tranquillité qui jusque-là m’avait parfaitement convenue. Terrible tranquillité.


Dernière édition par que-la-traque-commence le Mer 8 Jan - 2:13, édité 1 fois
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Message  que-la-traque-commence Mar 24 Déc - 3:10

Voici un texte que j'avais écris cet été et que j'ai peaufiné dernièrement (sur les conseils de Marine). Il n'est pas encore parfait, et je dois encore revoir la fin (tournures un peu lourdes, répétitions) mais c'est un aperçu!

Bisous bisous les filles!

j'ai hâte de lire votre dernier chapitre! C'est au programme de ces vacances mais je vais attendre d'avoir une longue plage horaire pour tout relire tranquillement.
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